jeudi 25 avril 2013

Au premier mai, fais la fête qui te plaît



 Fête du travail ou fête des travailleurs ?

Encore une fête qui nous vient des Etats-Unis ? En un sens oui, puisque que c’est en souvenir de la lutte des travailleurs de Chicago pour la journée de huit heures, le 1er mai 1886, que le Congrès socialiste international décide que dans tous les pays représentés, on interrompra le travail le 1er Mai 1890 et qu’aura lieu la première manifestation commune d’unité d’action internationale des travailleurs. En 1919, le Sénat français ratifie la journée de huit heures et fait du 1er mai suivant une journée exceptionnellement chômée. Chômée ou pas, cette journée du 1er mai voit défiler les Travailleurs chaque année, avec parfois des affrontements violents avec la police.

Encore une fête pétainiste ? C'est pendant l'occupation allemande, en 1941, que le 1er mai, désigné comme la Fête du Travail et de la Concorde sociale, devient officiellememnt chômé. Cette mesure est destinée à rallier les ouvriers au régime de Vichy. 
Jour férié et payé en France depuis 1947 . Le gouvernement issu de la Libération  fait du 1er mai un jour férié et payé...mais la journée des Travailleurs restera la Fête du Travail.
L’églantine ou le muguet
L'églantine, symbole révolutionnaire. En France, en 1890, les manifestants du 1er mai défilent en portant à la boutonnière un triangle rouge, qui symbolise la division de la journée en trois parties égales : 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisirs (leur revendication principale). Quelques années plus tard, la fleur d'églantine, rouge, remplace le triangle. L’églantine, origine sauvage de la rose socialiste, symbole de la révolution, que l’on reconnaît dans la chanson « Fleur d’épines », fleurit aux alentours du 1er mai.

Le muguet royal, tradition courtoise. Une autre fleur s’épanouit au tout début mai, c’est le muguet, dont les clochettes ne durent qu’un temps. On dit que c’est une tradition de la Renaissance. Le chevalier Louis de Girard ayant offert à Charles IX, alors âgé de 10 ans, un bouquet de muguet, cueilli dans son jardin à Saint-Paul-Trois-Châteaux, ou rapporté d’Italie, le tout jeune roi décide d'en offrir un brin à toutes les dames de la cour la veille de son sacre, comme porte bonheur, le 1er mai 1561.
Les larmes d’une belle ou le gazon des muses. Le muguet, souvent associé au culte de la Vierge, le mois de mai étant le mois de Marie, porte aussi le nom de Larmes de Marie, mais on raconte parfois que ces clochettes si pures sont les larmes d’Eve chassée du jardin d’Eden. Curieux porte-bonheur tout en larmes.
Une autre légende raconte que le muguet fut créé par Apollon, afin de donner à fouler aux neuf muses qui l’entouraient, un gazon digne de leurs pieds. (Au fait, le muguet aurait la vertu de soigner les cors des pieds…) Plus doux en effet que l’églantine, le muguet l’a peut-être supplantée à cause des épines.
Fête celte, fête romaine, fête de la belle saison.
Bien sûr ces histoires de fleurs ont à voir avec la Nature et le retour des beaux jours. Chez les Romains on célébrait la terre nourricière, Maïa. Chez les Celtes, la fête de Beltaine, la fête du début de l’été, le 1er mai,  comme Samain (Halloween) fête le début de l’hiver le 1er novembre.
Tiens ! Les deux principales fêtes celtiques, Halloween le 1er novembre, et Beltaine le 1er mai, qui ne sont pourtant pas reconnues, sont aujourd'hui des jours fériés !


Dans de nombreuses traditions européennes, on dresse un arbre, ou on le plante, pour le 1er mai. Symbole de fécondité, de renaissance, symbole  de pureté virginale et de force virile surtout. De Bavière en Angleterre ou en Belgique, comme autrefois en France, dans la nuit du 30 avril au 1er mai, on érige encore un arbre décoré, bien haut, bien élagué, ou un mat de mai enrubanné. Dans certains villages perdure une tradition qui permet aux amoureux de se faire connaître. À la belle convoitée, on destine un arbuste fleuri porteur de message. En tête de liste, celui qui signifie «tu es mon grand amour», l'églantier. Tiens tiens.

On a failli oublier Jeanne d’Arc
C’est en quelque sorte de la triche, si le défilé de l’extrême droite est «traditionnellement» le 1er mai.  À Orléans, en effet, les fêtes Johanniques débutent par la chevauchée de Jeanne d’Arc à travers la ville le 1er mai, cependant le point culminant de la fête est le 8 mai. C’est le 8 mai aussi que défilaient jusqu’a 1988 les partisans du Front National.
Jean-Marie Le Pen était lui-même candidat aux élections présidentielles de 1988, et le 2ème tour des présidentielles avait lieu le 8 mai. Le Pen décida donc d’avancer « sa » fête de Jeanne d’Arc au dimanche précédent. Et c'est resté.
Récup électorale 
Le défilé, suivi en 1988, donc, par quelques 30 000 militants et sympathisants du Front National, se prolonge par un rassemblement important dans les jardins des Tuileries et le leader d’extrême droite se félicite : « Une chance providentielle » a permis ce rassemblement sous « le double égide du travail et de la patrie".
Quelques années plus tard, en campagne électorale à son tour, Nicolas Sarkozy annonce :« Le 1er mai, nous allons organiser la fête du travail mais la fête du vrai travail, de ceux qui travaillent dur, qui sont exposés, qui souffrent. »
Ah ! Ce 1er mai des Travailleurs, il agace à droite, même s’il ne réunit pas toujours à gauche ! Mais en l’occurrence il n’a porté bonheur ni à l’un ni à l’autre.
Porte bonheur
Le bonheur, c’est le 1er mai. Le beau temps est de retour, oubliée la morosité hivernale, et puis, en mai, fais ce qu'il te plaît. Sautez, dansez, défilez si vous voulez, échangez les vœux avec les brins de muguet : santé, bonheur, et surtout du travail !
Et un rameau d’églantier pour les Brieuc dont c’est,ce jour-là, la fête.


mardi 9 avril 2013

Mehen, Senet et Douze lignes : 5000 ans de jeu.


Vous faites de fouilles, vous tombez sur une pierre plate, ronde ou rectangulaire, gravée de quelques traits en damier, et vous pensez qu’il doit s’agir d’un jeu, mais comment savoir ?
C’est troublant, émouvant, de voir ces jeux de l’antiquité qui ressemblent fort à des jeux contemporains.

Le Serpent, ou Mehen, né en Egypte 3000 ans avant JC, ressemble à notre  Jeu de l’oie. De case en case on déplace des billes sur cette spirale, et parfois à côté de la tête du serpent on trouve déjà un volatile. Mais il y a aussi de grosses pièces en forme de lions, ce jeu n’aurait-il pas quelque parenté avec Le Jeu de la Hyène auquel on joue encore au Soudan ? Les mères s’en vont chercher de l’eau, la hyène, plus grosse les dépasse et les mange à l’occasion, pour arriver la première à la source, au centre d’un parcours en colimaçon.
Les jeux de lignes formant des carrés  rappellent le jeu de Marelle, avec ses variantes, le Morpion ou le Moulin, où toujours il faut pour gagner aligner 3 pions, ou 5, ou 6 selon la complexité du Jeu. On le dessine encore dans le sable, pour jouer à la plage avec des coquillages.


Le Senet, ou Jeu des 20 cases (parfois 30) serait l’ancêtre du Backgammon (et du Tric Trac , du Tic Tac Toe et du Jacquet, ses cousins). Chacun a un certain nombre de pions disposés sur le parcours, qui saura faire sortir tous ces pions le premier, en renvoyant au point de départ quelques pions de l’adversaire au passage ? On joue déjà à 3 dés, comme au Moyen âge avec le Jeu des Tables, et maintenant au Backgammon.
Et que penser du jeu des 30 points, ou 58 trous, aussi connu sous le nom de Renards et chacals  ou jeu du Palmier ? Un genre de Backgammon lui aussi ?

De même le Jeu des 12 lignes,  ou Kuboi. Parfois les lignes sont remplacées par 3 phrases, maximes ou pirouettes ironiques, chaque lettre correspondant à une case sur laquelle va se poser un pion.  Jean-Marie Lhôte dans son Histoire des jeux en donne trois exemples :
SI TIBI TESSELA
FAVET EGO TE
STUDIO VINCAM
(Si le dé te favorise moi je te battrai en m’appliquant)
INVIDA PUNCTA
JUBENT FELICE
AUDERE DOCTUM
(De mauvais points obligent le joueur habile à bien jouer)
Et même
OTE TOI DE LÀ DONNE TA PLACE TU NE SAIS PAS JOUER IMBECILE

J’ai parlé en 2010 des réflexions de Jean-Marie Lhôte à propos du jeu Royal d’Ur et du système sexagésimal (base 60) : " il est intéressant d’observer que tous les nombres, sans exception, sont des diviseurs de 60." remarquait-il. Pour le Jeu des Douze lignes, même réflexion : pourquoi 12, alors que Grecs et Latins utilisaient un système décimal ?

Force est d'imaginer la règle, quand on n’a en main que des tablettes gravées et des pierres ou des coquillages les accompagnant. Énigme d’autant plus grande que ces jeux ne sont ni d’une même époque (de -3200 à -300) ni d’une même région (Iran, Chypre, Egypte, Lybie, Grèce, Rome, Soudan, Palestine…).

Heureusement certaines gravures, montrent des joueurs en action, quelques textes énoncent des règles. Rares sont cependant les images du plateau de jeu, qui permettraient de voir la place des pièces. Ainsi pour Achille et Ajax : plusieurs poteries les montrent en train de jouer, mais de profil. Un seul vase les montre avec une vue plongeante qui donne à l’expert la possibilité d’analyser leur jeu (et je n'ai pas d'image à montrer, hélas).


Archéologues, pas ludologues,  voilà bien la difficulté pour les chercheurs. N’étant peut-être pas joueurs eux-mêmes, ils peuvent se méprendre. Ulrich Schädler, directeur du Musée Suisse du Jeu, s’insurge contre ces collègues archéologues qui, ayant trouvé de nombreuses roues gravées sur plateaux de pierre (un rond et des rayons qui se croisent tous en son centre), les interprétant comme des jeux de Moulin ou de Marelle (où il faut aligner 3 cailloux pour gagner), en ont déduit que les Romains étaient très friands de ce jeu. Puisqu’on trouve ces « Jeux de Moulin ronds » en nombre dans les rues et les maisons, c’est que ce jeu était très populaire chez les Romains, affirment-ils.  On voit bien qu’ils n’ont jamais essayé d’y jouer, dit Ulrich Schädler, ce jeu ne présente aucun intérêt et ne finit jamais, les Romains n’étaient pas assez stupides pour se passionner pour un tel jeu.  Alors, c’était quoi cette roue ? Sans doute pas un jeu, sûrement pas un jeu de Moulin. (1)


Le Libro de los juegos, le Livre des jeux, écrit à la demande du roi Alphonse X de Castille entre 1251 et 1283, se compose de 98 pages et 150 enluminures. Y sont présentés les jeux de raisonnement pur comme les Échecs, les jeux de hasard comme les Dés, et les jeux mêlant hasard et raisonnement dits Tables.
Il s'agit de l'un des documents les plus importants de recherche historique sur les jeux de société. Le seul original connu, un manuscrit,  se trouve en Espagne à la bibliothèque du monastère de l’Escurial.
Le livre contient la description la plus ancienne connue de certains de ces jeux, et fait encore référence. Mais là encore, selon Ulrich Schädler, ceux qui l’on traduit, n’étant pas experts des jeux, en ont déformé le sens. C’est en 2011 seulement qu’est éditée la traduction qu’en a fait Ulrich Schädler, fort de sa connaissance des jeux, en Allemand, malheureusement pour ceux qui ne sont pas germanophones.
Alfons X. Der Weise Das Buch der Spiele. Übersetzt und kommentiert von Ulrich Schädler und Ricardo Calvo Reihe: Ludographie - Spiel und Spiele
Bd. 1, 2. Auflage, 2011, 336 S., 29.90 EUR, gb., ISBN 978-3-643-50011-3

Pourvu qu’un ludologue, ludographe ou ludophile nous offre vite la traduction française et ludique de ce Das Buch der Spiele !

Note. (1) Musée de Cluny, Paris, journée d’étude, 12 février 2013.